J’ai passé presque 10 ans sur Twitter, de janvier 2013 à novembre 2022. Je suis parti en même temps qu’énormément de monde lorsqu’Elon Musk a fini par (devoir) racheter le site et a commencé à le démolir méthodiquement. Je ne vais pas réécrire tout ce qu’il s’est passé depuis le rachat, le site Twitter Is Going Great le fait très bien. Mais pourquoi j’ai beaucoup apprécié le temps passé sur ce site, malgré ses défauts.
C’est le premier (et le seul) réseau social où j’ai été présent qui m’a sorti de ma bulle de préconceptions. Il m’a permis de « rencontrer » et d’écouter des gens très différents de moi, parler d’elleux et de leur expérience de la vie, à la première personne, sans filtre.
Il m’a permis en particulier d’entendre des personnes faisant partie de minorités (de genre, de sexualité, de couleur), des personnes bien moins chanceuses que moi de naissance, de les lire régulièrement, de comprendre leurs points de vue sur notre société, son état, et sa violence.
Facebook ne permet pas ça. Les communautés où j’ai été impliquées auparavant, spécifiquement celle du logiciel libre, non plus.
Je coche tous les privilèges et durant mon enfance, adolescence, et une grande partie de mon âge adulte, j’ai été nourri du discours dominant : Liberté, Égalité, Fraternité. J’ai longtemps cru à l’égalité des chances, à la méritocratie, à l’infaillibilité de la justice, à l’importance de l’ordre et à la Bonne Manière d’exprimer une opinion de citoyen·ne : en votant.
J’avais, sans doute, déjà commencé à me « radicaliser » avant Twitter, mais c’était théorique. Twitter m’a permis de voir à quel point le discours Liberté, Égalité, Fraternité sert surtout à remettre à leur place celles et ceux qui se battent contre toute injustice systémique, qu’il s’agisse de sexisme, de racisme, de lutte de classe ou encore de validisme.
À quel point on silence les militantes féministes en leur répondant que dans la loi, elles ont les mêmes droits que nous, en glissant sous le tapis à coup de « Anecdotique ! » « Portez plainte ! » toutes les manifestations encore bien réelles et tangibles du patriarcat.
À quel point on n’écoute pas les noirs, les musulmans lorsqu’ils expliquent subir des contrôles d’identité à tour de bras, à quel point les policiers ne sont pas là pour protéger les gentils comme on m’expliquait enfant, à quel points ils mentent, fabriquent des preuves, se couvrent les uns les autres à chaque usage complètement illégitime de la violence.
À quel point on a dévoyé la laïcité pour exercer un racisme d’état toujours sur les mêmes.
À quel point non, on ne se sort pas de la pauvreté en travaillant bien à l’école. À quel point le revenu d’une personne est en réalité décorrélé de son mérite, de son utilité sociale.
Même sur Twitter pré-Musk, j’ai vu ces inégalités et ces privilèges à l’œuvre. J’ai répondu à des racistes ou des misogynes des choses bien plus violentes que les premier·e·s concerné·e·s, et pourtant : en dix ans, jamais la modération ne m’a forcé à supprimer un tweet ou suspendu, alors que toute féministe ayant essayé a pu le confirmer : y écrire « 97% des violeurs sont des hommes » était une formule magique pour se faire censurer.
Pour tout ça, merci Twitter. Mais maintenant que tu vires ouvertement fasciste, je m’en vais, vers un endroit moins toxique et je l’espère, où les personnes progressistes auront moins de difficulté à s’exprimer sans déclencher des vagues de colère de dominant ni de censure.