Ça fait maintenant un mois qu’on est confinés, je me dis qu’il faut que j’écrive un petit truc sur le sujet, pour mémoire dans quelques années.
On est dans de bonnes conditions matérielles pour ce confinement, je ne vais pas me plaindre : on est dans notre maison, suffisamment grande, avec un petit jardin. Je mesure notre chance.
Le confinement est intervenu pile un mois après que j’ai commencé mon nouveau poste chez Sigfox. J’y continue donc, après un mois en présentiel, à apprendre tout ce que j’ai à apprendre en remote. Là aussi, j’ai de la chance : notre employeur a notre santé à coeur et ma « chaîne de commande », de mon manager aux RH, sont conscients des difficultés occasionnées par ce changement en télétravail total pour toute la boîte.
En particulier, tout le monde est conscient que c’est moins facile de télétravailler, surtout quand on est confinés avec des enfants – ce qui est mon cas 50% du temps. Il nous a été officiellement expliqué qu’une baisse de 25% de la productivité est normale et acceptable. Ça soulage. C’est désespérant, par contre, de savoir que c’est une position minoritaire dans le monde du travail.
À la maison avec les enfants, les premiers jours ont été difficiles, tendus, personne ne sachant où on allait. J’étais super stressé de ne pas réussir à travailler tout en m’occupant d’eux, on a pas mal crié. Puis on a trouvé nos marques, petit à petit. On a compris que concilier le travail, les tâches ménagères et la continuité pédagogique allait être impossible. Pas question de m’enfermer huit heures dans le bureau en laissant ma compagne (actuellement au chômage) gérer les repas, le linge, la vaisselle, les demandes des enfants, les disputes des enfants, les loisirs des enfants, les devoirs des enfants – de mes enfants ! J’ai informé les enseignants que la continuité pédagogique allait être basée sur « le mieux possible ».
En temps normal en rentrant du travail, j’ai 30 à 60 minutes à consacrer au temps de devoirs de Paul et Gaspard, respectivement en 6ème et en CE2. Le week-end, environ une heure par jour. La majeure partie de leur travail est faite en classe. Au début du confinement, la charge de travail demandée par les enseignants était bien plus haute que cela. Eux aussi découvraient et essayaient de s’adapter à cette demande de « continuité pédagogique », un effort qui aurait demandé plusieurs heures par jour et par enfant. Impossible à faire en journée tout en travaillant ; pas du tout désirable de rattraper le tout pendant le week-end – eux comme moi avons besoin de repos.
On a choisi la voie de l’autonomisation, ce qui représente déjà une plus grande attente qu’habituellement de ma part. Jusqu’ici, les enfants ressentaient le besoin que je sois près d’eux pour avancer dans leurs devoirs. Maintenant, on regarde ce qu’ils ont à faire ensemble, et je les laisse avancer pendant que je travaille. Ils ont la permission (et même la demande expresse) de venir me voir s’ils sont bloqués ou ne comprennent pas quelque chose.
Cela a quelques inconvénients. En particulier, la qualité de la présentation en patît parfois. Il est arrivé que Paul aille chercher les réponses sur internet (mais pas de la bonne façon). On en parle, on refait quand c’est indispensable (devoir à la maison par exemple), on demande mieux pour la prochaine fois sinon – pas question de leur faire passer plusieurs heures à recommencer la même chose. J’essaie de ne monter qu’un curseur à la fois, et j’ai choisi celui de l’autonomie en premier car cela me paraît un meilleur choix autant à court terme qu’à long terme.
Le reste du temps, les enfants ont aussi plus d’autonomie que d’habitude : on les enjoint de trouver à s’occuper, à la fois sans venir me dire « jsais pas quoi faiiiire », sans chahuter, sans se disputer. Ce n’est pas évident pour eux. La voie de la facilité a été d’élargir le temps d’écran disponible. Après quelques tergiversations sur le bien ou le mal que cela pouvait leur faire, on y trouve un bénéfice net. Petit à petit, l’attrait de l’interdit commence à s’amenuiser, et ils lâchent les écrans pour aller jouer aux Lego ou dans le jardin – et l’avantage, c’est qu’ils font cela quand ils en ont envie et non pas forcés et contraints, ce qui minimise les disputes, même s’il en reste.
On a vu des progrès aussi sur les tâches ménagères et la gestion de la frustration. Il y a moins de récriminations qu’avant sur la mise du couvert, le débarrassage collectif plutôt que « chacun ses choses », etc. Lorsque c’est l’heure de venir à table, l’interruption est acceptée bien mieux que d’habitude – ils ont plus de liberté dans l’organisation de leur temps, et réalisent qu’ils pourront finir ce qu’ils faisaient plus tard, après manger ou bien le lendemain.
L’heure du coucher a évolué vers plus de liberté aussi ; en partie parce que l’heure du lever est libre et non plus dictée par l’heure du début de l’école, en partie parce que l’envie de les « foutre au pieu pour avoir la paix » est bien moins palpable.
Pour le reste, on est globalement casaniers donc ça va (vous avez lu Chez Soi de Mona Chollet ?). Le confinement nous empêche certains loisirs habituels tels que les balades à vélo ou bien les loisirs créatifs, menuiserie, travaux de rénovation dans la maison… qui sont bien limités par l’inaccessibilité des matières premières. Je m’occupe avec les chutes.
Le plus dur est pour Abi, qui cherchait un travail et avait une bonne piste avant le confinement (mais qui l’a encore !) ; l’incertitude sur la suite lui pèse un peu d’autant qu’elle me voit m’éclater en télétravail. Non négligeable aussi, la charge mentale des menus (qui est plus tolérable si les enfants ne râlent pas à chaque plat présenté) est doublée en ce moment, pour cause d’absence de cantine. Les enfants semblent s’en être rendus compte et font des efforts d’adaptation à la mesure de leurs petites capacités…
Hors de notre petite bulle, ce confinement agit comme un révélateur assez incroyable de tout ce qui ne va pas dans notre société. L’arbitraire et les violences policières continuent de manière de plus en plus décomplexées, plein de gens semblent tout à fait confortables avec ça. Hier un flic a emportiéré un jeune à moto. Avant-hier un flic a tiré dans le ventre de son voisin bruyant. Il y a au moins une exaction policière rendue publique chaque jour. La moitié des commentateurs sont mûrs pour une dictature. On voit fleurir les jugements et délations de tous ceux qui ne vivent pas exactement pareil. Le gouvernement continue à faire de la merde et à mettre en danger la population, dans un mélange absolu d’incompétence et de cynisme. C’est très moche.
J’aime beaucoup la photo dans le couloir et leur sens du confort. ;-)