Les élections présidentielles 2017 sont enfin derrière nous et ça va me reposer. J’en avais marre de faire des cauchemars de politique.
Cette fois ci j’étais beaucoup plus enthousiaste que les précédentes fois. Après cinq ans de gouvernement Hollande où, sortis du mariage pour tous, on a surtout vu à l’oeuvre une politique sociale que même les Républicains n’auraient peut-être pas osé, le projet de Mélenchon, malgré quelques réserves, me semblait honnêtement et profondément social. Pas de chance, il n’était pas présent au second tour et nous avons eu droit à un duel Macron / Le Pen, capitalisme / fascisme. Trois points étaient particulièrement rageants pour moi pour ce second tour : déjà, il paraît que plus de la moitié des votes Macron étaient un vote utile et non un vote d’adhésion. Deuxièmement, Fillon a fait deux cent mille voix de plus que Mélenchon, malgré des casseroles monumentales au cul alors qu’il se présentait comme le candidat de la droiture. C’est un peu moche.
Troisièmement, j’ai passé quelques jours à hésiter à aller voter au deuxième tour : le programme de Macron me semblant lui aussi dévastateur. Certes, pas dévastateur comme celui d’Hitler dans les années trente, pas aussi binaire que celui de Le Pen l’est à grands coups de discriminations, de libération de la parole raciste et de ratonnades. Mais dévastateur malgré tout. Cela fait des années que l’on essaie de juguler le chômage à grands coups de précarisation et si cela limite la casse au niveau des chiffres nationaux, ça fait souffrir du monde, beaucoup de monde.
Alors on a eu Macron / Le Pen au deuxième tour et il fallait faire barrage au fascisme, alors je l’ai fait car j’ai été élevé dans une famille cultivée au sein de laquelle on m’a appris et expliqué les ravages du fascisme sur le monde. Je me suis motivé pour aller voter contre Le Pen, « pour Macron », tout en étant intimement persuadé que la politique qu’il envisage ne fera qu’augmenter la précarité, la misère sociale et le sentiment d’exaspération qui habite de plus en plus de Français. Entre la souffrance des étrangers, homosexuels, basanés et précaires d’un côté, et la souffrance de juste les précaires d’un autre côté, j’ai choisi. Après tout, ils ont l’habitude.
Malgré cela j’ai ressenti de l’empathie pour ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas faire un choix. Les abstentionnistes qui ont été pendant quinze jours le déversoir de toute la haine du Front National, les lâches hommes blancs hétéros privilégiés qui refusent de faire barrage à la bête. Que parmi ces gens il y ait des chômeurs en fin de droit, des précaires de longue durée, des rejetés de la société, on n’en a pas parlé. Que l’électorat frontiste ait pris presque trois millions de voix de plus qu’au premier tour en 2002, on n’en a pas parlé. Que les électeurs de Fillon aient compté reporter leur voix sur le FN deux fois plus que les électeurs de gauche, non plus : non, l’accession au pouvoir de Le Pen, ça allait être la faute des abstentionnistes de gauche. Les bâtards.
Le deuxième tour a eu lieu et il était sans surprise, avec une abstention record, des reports de voix vers Macron de partout (et surtout de la gauche), des reports de voix vers Le Pen de partout (et surtout de la droite).
Et les premières choses que j’ai lu ? Des reproches aux abstentionnistes, tellement égoïstes qu’ils ne sont pas allés voter faire barrage. Les trois millions de voix supplémentaires pour le FN (qui leur fait passer la barre des dix millions) ? Ça n’a pas l’air de gêner grand monde. Les fachos ont doublé leur base électorale depuis 2002 (en 2002, il n’avaient eu que 700.000 voix supplémentaires au deuxième tour), il y a maintenant un français sur sept qui peut voter Front national, mais ça on s’en fout, l’important c’est ceux qui n’y sont pas allés.
Pour moi, cette abstention ça veut surtout dire que la ligne politique de ces quinze dernières années, ça ne va plus suffire : « Hey les gars, business as usual et dommage pour vous si vous en souffrez, d’tfaçons c’est ça ou le Front National ». En 2022, ça ne va pas être assez.
C’est facile pour des gens comme moi de rester droit dans leurs bottes et rejeter la haine. J’ai un bon boulot. J’ai un bon salaire. Je bosse dans un domaine où le chômage est très faible. J’ai une chouette qualité de vie et je suis heureux.
Pour des gens qui enchaînent des contrats d’intérim et des CDD au SMIC en prenant tout ce qui passe parce que sinon c’est rien, des gens qui se lèvent à 5h30 du matin pour aller bosser super loin de chez eux et qui s’ajoutent deux heures de transport à leur journée parce que de toutes façons ça sert à rien de déménager c’est que pour trois mois et puis en plus personne voudrait leur louer autre chose parce que leur situation n’est pas assez stable, pour des gens qui doivent justifier toute leur précarité et leurs dépenses tous les trois mois pour toucher un RSA et pouvoir bouffer des pâtes, le discours « tout sauf le FN », il passe moins bien.
Alors l’abstention, dans ce cas de figure, elle a déjà plus de gueule que de jeter l’éponge et aller voter FN dans l’espoir de voir sa propre condition s’améliorer.
Et puis ceux qui se sont abstenus, ils se sont fait insulter quinze jours, comme moi qui en considérais la possibilité. Mais eux qui n’ont pas changé d’avis, ils ne sont pas fait ré-insulter trois heures après la sortie des urnes en se faisant expliquer que « 65% des Français ont choisi Macron » ou même « une grande majorité des Français adhèrent au programme de Macron ».
La prochaine fois, si la classe politique compte faire barrage efficacement au FN, j’ai des suggestions :
- Arrêtez d’inviter Philippot et compagnie un jour sur deux sur BFM
- Arrêtez de monter en épingle des faits divers du genre du burkini
- Arrêtez de ratisser sur les terres du FN avec du bullshit comme la déchéance de nationalité
- Arrêtez de regarder le FN à 25% dans les sondages sans sourciller, puis de commencer à pousser les hauts cris à base de « dictature Castro-Chavezienne » quand la gauche « radicale » arrive à 18% d’intention de vote
- Arrêtez les lois asociales à grands coups de 6 x 49.3
- Arrêtez de vous foutre de notre gueule
Ah, mais peut-être que ça vous arrange pas ?
Abstention et votes blancs: même combat à peu de choses près, en tout cas même constat à mon avis (jusqu’aux insultes et leçons de morales reçues entre les 2 tours), dommage que la source du joli flow chart ne les mentionne pas!
Ça en parle un peu sur le lien Ipsos : http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2017-05-07-2nd-tour-presidentielle-2017-sociologie-electorats-et-profil-abstentionnistes